Clef-pistolet
L’insécurité dans les rapports humains a toujours été un souci et la violence quotidienne a souvent été une réalité depuis la nuit des temps !
La possession de richesses a toujours aussi suscité des convoitises et les puissants des classes bourgeoises de la société ont toujours eu besoin de protéger leurs biens ! On citait souvent dans mes jeunes années cette maxime fort explicite :
« L’aristocrate défend ce qu’il est, le bourgeois défend ce qu’il a !»
Avant la détestable apparition de l’argent virtuel, des assignats révolutionnaires (source de banqueroute), de l’argent papier (sensible à la morsure des rats et des mites dévoreuses d’économie), une personne riche détenait forcément sa fortune sous forme de métaux précieux à la chatoyante scintillance (or et argent), de précieuses pierres multicolores, de bijoux subtilement ouvragés, de pièces de monnaie bien rangées dans des rouleaux , ou de manière plus surprenante, d’enivrantes épices aux fragrances musquées. Souvenons-nous que les épices valaient plus que l’or jusqu’à la fin de la renaissance (poivre, clou de girofle etc. ). Et la pudeur la plus élémentaire m’interdit formellement de parler ici des chèques à la valeur semblable à poudre d’orviétan que vendaient jadis les bonimenteurs de foire !
Donc plus on était riche, plus le coffre nécessaire à la préservation des pesantes et oh combien encombrantes richesses était imposant et solide, et donc plus la cupidité des coupeurs de bourse était exacerbée !
Les fèvres (forgerons) préposés à la construction des coffres-forts à l’époque étaient des artisans accomplis et les serruriers qui travaillaient avec eux d’un niveau égal ; la proximité professionnelle entre les serruriers et les armuriers était étroite. Dans les campagnes, le forgeron du village était aussi le plus souvent par nécessité serrurier. Il réparait aussi les armes et les mécanismes des horloges.
Lorsqu’un client fortuné lui commandait un coffre-fort ou une serrure de porte de gentilhommière, il proposait parfois d’en optimiser la clef en la dotant d’un mécanisme de percussion (platine latérale ou chien central) pour la transformer en pistolet de défense. L’anneau de la clef (1) se trouve soudain promu à la fonction plus flatteuse de crosse d’un pistolet et la tige de la dite clef (2) tiens le rôle valorisateur et martial approprié à sa forme de canon du pistolet. Le panneton (3) fonctionnel de la clef peut, plus modestement, servir de guidon de circonstance.
Nous présentons ici d’une clef à silex d’époque Louis XVI. Son mécanisme est proche d’une platine de pistolet de gousset mais avec des perçages spécifiques du corps de la platine pour loger les vis de détente et de ressort de rappel de détente. On ne peut que constater et conclure que cette platine fut construite spécifiquement pour cet objet et non issue de la récupération d’une platine de pistolet !
Les brigands de l’époque (« chauffeurs de pied » et autres « écorcheurs ») semaient la terreur dans les campagnes et usaient de grande violence et brutalité pour dépouiller leurs victimes. Cependant, ils n’étaient pas forcément des techniciens habiles et ne disposaient pas d’un outillage évolué pour forcer rapidement les serrures. Très pragmatiquement, ils préféraient forcer l’infortunée victime à ouvrir elle-même le coffre ou la porte.
Leur victime, en saisissant la clef et en camouflant dans la paume de sa main l’anneau, le mécanisme de percussion passait inaperçu, et alors malheur au trop confiant détrousseur qui se voyait fusillé à brûle-pourpoint! Restait alors au bourgeois à profiter de la confusion pour se saisir d’une épée ou pour fuir ses bourreaux ! Vu l’isolement et la lenteur de déplacement les gens ne pouvaient bien souvent compter que sur eux-mêmes pour se protéger, la maréchaussée résidant souvent à plusieurs lieues !
Ce genre d’arme dissimulée est peu courant de nos jours. À l’époque elles étaient déjà assez rares, car elles coûtaient le prix d’un pistolet. Aussi, l’idée d’une clef pistolet à un seul coup ne séduisait pas forcément les possédants qui pouvaient par exemple préférer une paire de pistolets à deux coups qu’ils emportaient avec eux lors de leurs déplacements pour bénéficier d’une puissance de feu plus importante !
La seconde clef-pistolet à notre disposition est très tardive car elle fonctionne comme un pistolet à percussion et on peut la dater sans trop s’avancer du second tiers du 19éme siècle.
Cette clef offre la particularité de contenir l’intégralité du mécanisme dans l’anneau ce qui rend sa dissimulation plus facile et qui évite de l’accrocher dans le tissu de la poche si on doit la brandir rapidement. La percussion est axiale. La bossette de la clef fait office de masselotte porte cheminée. Le calibre de l’arme avoisine les 10 mm, permettant de charger cette dernière soit avec une balle ronde ou de la « dragée » comme on disait à l’époque. Derrière cette dernière appellation se cachent 5 à 6 ballettes de plomb propres à « truffer » de belle manière les entrailles de la crapule qui en veut à vos économies. Une telle blessure, si elle n’était pas forcément mortelle sur le coup, entraînait une agonie longue et douloureuse. Les malandrins bien conscients de cet état de fait hésitaient à insister lorsqu’ils avaient compris que l’innocente clef que l’on brandissait sous leur nez était en réalité bien autre chose !
Comble du raffinement notre pistolet de circonstance est doté d’une sûreté bloquant la détente. La dite détente se situe au dos de l’anneau sous la forme d’une palette articulée qui libère la gâchette si on la presse avec la paume de la main. Ceci entraîne sous la brusque détente du maître ressort la percussion d’une amorce par le chien. Notre exemplaire porte le numéro « 032 » frappé sur la bossette et sur le chien. Cette numérotation laisse deviner la fabrication d’une petite série. Ce marquage sert aussi de repère de remontage lorsque, après avoir ajusté toutes les pièces et réglé la marche de ces dernières, on redémonte l’arme pour les opérations de trempe pour durcir les crans d’armé du chien et de la gâchette. Il convient de remonter impérativement les bonnes pièces sur la bonne clef car dans des fabrications manuelles, les pièces ajustées avec soin ne sont pas interchangeables !
La tentation est grande de tirer avec cette antiquité. La percussion d’une amorce à vide se fait sans aucun crachement. Le fabricant a bien pris soin de doter le chien d’un lamage profond au niveau de la tête de percussion de manière que ce dernier coiffe entièrement l’amorce pour en contenir les gaz qui risquent de créer des lésions à la paume de la main !
Avec 0,5 gramme de poudre noire et quelques grammes de plomb de chasse le tout bourré avec une méchante feuille de papier journal, un amateur éclairé pourra certainement trouver le moyen de s’amuser un peu en revivant les sensations de l’époque.
Gilles Sigro-Peyrousère
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