Desert Eagle : de Hollywood au stand de tir
Cette mise en bouche avec l’excellent film Last Action Hero (avec Arnold Schwarzenegger bien sûr) met en avant deux points intéressants : le cinéma Américain a largement contribué au mythe qu’est devenu le Desert Eagle, et non, ce pistolet semi-automatique n’a pas été conçu comme arme anti-matériel pour les barrages routier en Israël… Mais nous allons y revenir.
Il était une fois dans les années 1980
Le Desert Eagle fascine par bien des aspects et notamment par le fait qu’il s’agisse du pistolet semi-automatique le plus “puissant” encore au moment où nous écrivons ces lignes, du moins ex-aequo avec le Larz Grizzly et l’Automag V, mais moins connus et diffusés. Si la cartouche de .50 Action Express (dite .50 AE) a rendu l’arme populaire, il faut se rappeler que le pistolet a initialement été conçu pour tirer le .357 Magnum.
L’entreprise américaine Magnum Research, Inc. (MRI) a été créée en 1979 dans le Minnesota par Jim Skildum et John Risdall (comme indiqué sur le site du fabricant). Un certain Bernard C. White dessine les plans d’un pistolet fonctionnant par emprunt de gaz qui sera présenté la première fois au S.H.O.T. Show d’Atlanta en 1982. Le nom d’Arnold Steinberg revient souvent comme co-auteur du brevet dans les articles publiés sur internet mais nous n’en avons pas vu la trace dans les documents officiels. On peut voir sur le dessin les bases du futur Desert Eagle avec la culasse rotative à plusieurs tenons, la sécurité ambidextre et la « glissière » caractéristique. Les premiers pistolets en .357 Magnum fabriqués par MRI, appelés « Eagle », sortent la même année mais ils souffrent de problèmes de fiabilité (brochure visible en lien ici). En effet, le problème est que la cartouche de .357 Magnum, initialement conçue pour le tir dans des revolvers, possède un bourreletForme du culot d'une munition qui comporte un retour d'un di... More ce qui rend son utilisation dans un pistolet semi-automatique complexe. C’est alors que Magnum Research, Inc. va se tourner vers Israel Military Industries (IMI, renommé aujourd’hui « Israel Weapon Industries » soit IWI ) pour améliorer son pistolet et produire une toute première série de 1000 armes. La connexion entre les deux firmes n’est pas réellement connue… la légende dit que les deux producteurs de cinéma Menahem Golan et Yoram Globus (les fameux « Go-Go Brothers ») ont aidé à la mise en relation car ils cherchaient une arme avec “une gueule” pour leurs films de série B… (1). Il semble juste plus logique de croire que MRI cherchait un sous-traitant capable d’améliorer et de fabriquer leur pistolet. Un nouveau brevet, conçu par Ilan Shalev de chez IMI est déposé en 1985. C’est bien ce brevet qui donnera naissance au premier véritable “Desert Eagle” Mark I, de base en .357 Magnum, puis très rapidement en .44 Magnum (Photos 01 à 08). Le pistolet a donc bien été initialement conçu aux Etats-Unis, mais il a été amélioré et produit en Israël.
On peut alors se poser la question de l’intérêt de vouloir à tout prix un pistolet dans un calibre “Magnum” ? Outre le défi purement technique de créer une arme de poing la plus puissante possible, il semble que la cible commerciale de Magnum Research, Inc. ait été les tireurs sur silhouettes métalliques et les chasseurs. Ils n’imaginaient probablement pas à l’époque que leurs armes feraient surtout le bonheur des accessoiristes de cinéma et des tireurs en mal de sensations fortes et aimant exploser des pastèques sur YouTube… Le tir sur silhouette métallique est une discipline regroupant plusieurs catégories dont le tir au pistolet de gros calibre, incluant des tirs jusqu’à 200 m sur des gongs de formes animales. Bien que cela soit surprenant le Desert Eagle semble être utilisé par certains tireurs car l’arme est suffisamment précise pour cela. Ceci explique d’ailleurs la disponibilité, dès le départ, de plusieurs longueurs de canons (interchangeables !) : 6 pouces (152,4 mm) étant la longueur « standard », mais seront également disponibles des canons 10 pouces (254 mm) et même…14 pouces (355,6 mm) ! Quant aux chasseurs, il faut se placer dans le contexte de l’Amérique du Nord, où la rencontre fortuite avec des ours peut nécessiter l’emploi d’une arme puissante et suffisamment compacte pour le transport : on retrouve aujourd’hui dans cette catégorie tout un tas de revolvers dans des calibres extravagants comme le .454 Casull. Certains chasseurs l’utilisent aussi pour chasser le daim ou l’élan car comme mentionné, le pistolet est précis et il possède d’ailleurs même sur ses versions précoces un rail prismatique de 3/8” sur lequel peut être monté une aide à la visée.
Le pistolet continue à être amélioré et sort dans une nouvelle version à la fin des années 1980 (peut-être 1989 voire 1990 au plus tard), le Mark VII (Photos 09 et 10). Il est alors commercialisé en .357 et .44 Magnum puis est complété par le .41 Remington Magnum (10,4×33 mm R), dont la production cessera cependant très rapidement. Le Mark VII se distingue facilement du Mark I par la forme des leviers de sûreté qui change, devenant plus proéminents. Aussi, c’est bien le logo d’IMI qui est disposé sur les plaquettes du pistolet.
En 1988 apparaît la célébrissime cartouche de .50 Action Express. Annoncé pour le Desert Eagle dès 1989, ce calibre est proposé pour le Mark VII au tout début des années 1990 (vraisemblablement, 1991). Il permet au Desert Eagle de se hisser purement et simplement sur la première place du podium des pistolets semi-automatiques les plus puissants au monde. L’accouchement du .50 AE ne se fit cependant pas sans douleur : à cause des lois fédérales, proposer sur le marché civil États-Unien une arme d’un calibre supérieur à .500 pouce (12,7 mm) se heurte à quelques restrictions… Oui même là-bas ! Le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (BATFE ou souvent juste « ATF ») classait de telles armes dans les “destructives devices” (soit dans la même catégorie que les lances grenades par exemple), ce qui, dans certains états, empêche leur vente aux civils ne possédant pas de la licence fédérale appropriée. Or, si le canon ayant servi au développement du calibre, doté de rayures conventionnelles et conçu autour d’une balle de .510 pouce (13 mm) passait avec succès le test de l’ATF (une pige de diamètre .50 ne devant pas traverser le dit canon), il n’en allait pas de même avec les canons à âme polygonale des Desert Eagle ! Magnum Research, Inc. dû donc s’adapter en réduisant la balle à tout juste .500” (12,7 mm). Il en découle une légère conicité de l’étui avant son collet (environ 0,2 mm au diamètre). Autre point intéressant, la munition utilise un culot aux dimensions identiques au .44 Magnum, ce qui le rend compatible avec les culasses adaptées à ce calibre…ce qui est le cas du Desert Eagle ! Le culot étant donc d’un diamètre inférieur à celui de la jupe, le .50 AE constitue un des représentant les plus notables (avec le .284 Winchester) des munitions à culot rétreint. On note que l’arrivé du Mark VII en calibre .50 AE introduit l’utilisation du rail Weaver (ancêtre du rail Picatinny) à deux encoches en lieu et place du rail prismatique de 3/8”, mais uniquement pour ce calibre. Il en découle d’ailleurs une légère différence de géométrie de la « glissière » : celle des .50 AE est un peu plus « empâté » sur sa partie supérieure que celles des autres calibres. Les Mark VII en .357, .41 et .44 Magnum conserveront le rail de 3/8” et une glissière un peu plus fine sur sa partie supérieure.
En ce qui concerne les performances de la cartouche, si nous nous basons sur ce que la boîte de Hornady (que nous avons utilisée pour notre essai) indique : la balle de 300 grains (19 grammes) sort à une vitesse de 450 m/s (1475 fps). La cartouche de .50 AE est souvent créditée pour être l’œuvre seule d’Evan Whildin car président d’Action Arms et officiant comme “ commercial ”, mais elle est le travail conjoint avec Bob Olsen ayant un rôle beaucoup plus technique.
La production chez le fabricant Israélien continuera jusqu’en 1995, pour se poursuivre chez Saco Defense dans le Maine (qui n’a rien à voir avec la firme Finlandaise SAKO). Cependant, dès 1998 le pistolet sera produit à nouveau chez IMI / IWI en Israël sans que les raisons en soient connues. À noter que Saco Defense produisit quelques exemplaires du Desert Eagle en .440 Cor-Bon, une cartouche reprenant la douille du .50 AE en en restreignant le collet pour accueillir une balle de .44 Magnum (pour faire simple !).
En 1996 apparaît le Mark XIX. Étrangement, on ne sait absolument pas ce que sont devenus les numéros intermédiaires entre le Mark I, Mark VII et XIX ! Ce modèle généralise l’utilisation du rail Weaver et de la « glissière » plus « étoffée » déjà rencontrée sur les Mark VII en calibre .50 AE. Le modèle renoue ainsi avec une des “forces” des premiers Desert Eagle : proposer au consommateur des kits de conversions avec canons et chargeurs pour le calibre désiré, le tout étant parfaitement adaptable à la carcasse et l’ensemble mobile. Comme déjà évoqué, c’est le cas entre le .44 magnum et le .50 AE !
La production du pistolet va cesser chez IMI en 2009 pour venir s’implanter à côté du siège social de MRI, dans le Minnesota, à Pillager (Photos 11 à 17). C’est à ce moment-là qu’apparaissent les canons avec rails Picatinny en lieu et place des rails Weaver. Dès 2010, Magnum Research est racheté par le groupe Kahr Arms et la production se poursuit aujourd’hui sur le sol Américain dans une gamme complète de pistolets dans des configurations différentes : longueurs de canons, finitions et calibres. En 2018 apparaît le .429 DE : il s’agit d’un concept très similaire à celui du .440 Cor-Bon : un étui de .50 AE réduit au collet pour accepter des balles de .429 (diamètre des balles de .44 Magnum), ce qui donne une cartouche avec une balle de 240 grains et une vitesse de 495 m/s (1625 fps). On peut noter également l’apparition des modèles L5 (Light 5 inches) et L6 (Light 6 inches), qui sont des versions “allégées” du pistolet avec l’utilisation d’une carcasse en alliage d’aluminium, diminuant de près de 500 grammes le poids du pistolet.
Alors attaquons nous ici à la question qui fâche : le Desert Eagle a-t-il été utilisé comme arme réglementaire dans l’armée Israélienne ? Non ! Il est toujours amusant de se demander comment de telles rumeurs ont pu faire leur chemin…comme celle qui ferait croire que les Go-Go Brothers sont à l’origine de la fabrication du Desert Eagle en Israël ! Serait-ce le fabricant qui l’a lancé lui-même lors de la mise sur le marché de son arme ? Après tout, avec le succès du UZI, il aurait été plutôt positif d’affirmer que son pistolet soit lui aussi utilisé par Tsahal… Ou alors est-ce la confusion entre le DE et le “Baby Eagle”, son petit frère le Jericho 941, dérivé du CZ-75 ? En effet certaines productions du pistolet en 9×19 mm ont été marquées “Desert Eagle Pistol” sur la culasse ! Quoi qu’il en soit, il semble vraiment farfelu qu’une quelconque unité ou armée ait adopté ce pistolet. On peut lire sur Wikipédia que les unités spéciales du GROM (Pologne) et GOE (Portugal) ont utilisé l’arme. Cependant les preuves sont minces… Il est tout à fait possible que ces unités aient acheté quelques exemplaires, pour test… néanmoins leur utilisation lors d’opérations reste à prouver. Il suffit d’une séance de tir avec le pistolet pour se rendre compte que c’est tout à fait invraisemblable.
L’arme « Pop » par excellence
Lorsque qu’on envoie une photo à des amis non-tireurs en leur écrivant “regardez ça !”, nul besoin d’énoncer le modèle de l’arme : tout le monde la reconnait. À l’instar de l’AK-47, identifiable par n’importe qui (sauf peut-être par certains journalistes…oups…), il est impressionnant de constater comment le Desert Eagle a marqué les esprits via le cinéma et les jeux vidéo… Ce pistolet a une gueule, et quelle gueule : franchement impressionnante et photogénique, il a “travaillé” dans plus de 600 films ! Pas besoin d’explications techniques, le spectateur comprend immédiatement, vu la taille de la bête, que l’arme de son héros (ou du méchant !) est hors norme, plus puissante que n’importe quel autre pistolet. Pour rappel, le pistolet Mark I sort en 1985 et dès cette année-là il apparaît dans les mains de Mickey Rourke dans le film L’année du Dragon, pour enchaîner immédiatement avec Arnold Schwarzenegger dans Commando. Le pistolet semble d’ailleurs de taille normale dans les mains de « Schwarzy » : de fait, il est parfaitement en adéquation avec la carrure de M. Univers ! Celui-ci l’adoptera bien évidemment à nouveau comme arme de service dans son rôle de policier dans l’excellent, merveilleux, cultissime, Last Action Hero (1993). La liste des “rôles” du Desert Eagle est réellement très longue et semble sans fin. On peut noter son apparition dans Matrix (1999) dans les mains des agents Smith : oui le Desert Eagle peut aussi être l’arme du “bad guy” ! C’était d’ailleurs déjà le cas dans Robocop (1987) : c’est bien l’arme utilisée par Clarence Boddicker. Et encore aujourd’hui il est présent dans les mains du super anti-héro Dead Pool. Non, vraiment, nous ne sommes pas près de le voir disparaître des écrans. Son apparition est souvent liée avec le personnage du film : à caractère hors normes, pistolet hors normes ! Enfin, comment ne pas citer Snatch (2000) où l’arme tient même une part importante de la rhétorique de « Tony dents de plombs »…à grand renforts de gros plans sur les (faux !) marquages.
Et que dire des jeux vidéo ? Counter Strike pour ne citer qu’un des jeux les plus célèbres, l’a rendu très populaire auprès des joueurs : il y est une arme puissante et précise. Souvent, dans des jeux comme Call of Duty, le Desert Eagle est offert comme cadeau en débloquant des niveaux d’expérience et ce, pour ne rien gâcher, en finition dorée (disponible au catalogue des armes réelles !), marquant bien le statut que représente le pistolet : une arme rare, puissante et racée ! Évidemment, venir au stand de tir avec un Desert Eagle, quel que soit son calibre, c’est être certain d’attirer les regards. Et de vous faire détester par vos voisins qui se feront éblouir par les flammes et secouer par les vibrations des tirs avec du .50 AE… C’est là que l’on voit toute la puissance de l’image qui a été renvoyée par la pop-culture. Le Desert Eagle ne jouit d’aucune aura militaire, n’a participé à aucun conflit, n’a fait aucun coup d’éclat et pourtant… Qui refuserait de l’essayer sur le pas de tir ? On oserait presque se demander : le Desert Eagle est-il un marqueur de statut social ? Après tout, son prix est élevé, et ses cartouches coûtent très cher (compter 65€ la boîte de 20 au moment où nous écrivons ces lignes). En clair : venir au stand avec un .50 AE c’est être sûr d’impressionner tout le monde !
Et pourtant, l’utilité de ce pistolet au stand de tir est tout à fait relative… Mais elle offre le plaisir de posséder une arme iconique du cinéma, des sensations fortes et d’excellents souvenirs. Cerise sur le gâteau : l’arme est en effet agréablement précise en cible.
Le tir
40 cartouches, pas une de plus. Autant l’écrire tout de suite : tirer au Desert Eagle en .50 AE, ça coûte cher et ça fatigue vite. Le pistolet pèse 1,970 kg à vide et est de très grande taille. De notre point de vue, le problème au niveau ergonomique vient dans le placement des deux pouces sur le côté gauche de la « glissière » : on ne sait pas réellement comment se positionner. D’instinct, il semble contre nature de positionner ses pouces sur la glissière à cause du violent recul et de la peur de perdre ses doigts (Photo 18). Cependant s’ils sont placés plus bas sur la carcasse, le pouce de la main gauche vient naturellement sur le bouton de déverrouillage de la clef de démontage, et le pouce de la main droite vient sur l’arrêtoir de culasse. Dans les deux cas, appuyer malencontreusement sur l’un ou l’autre peut provoquer un problème de fonctionnement. Mise à part cette prise en main où il faut s’adapter vu la taille du pistolet, le reste de l’arme ne nous a pas posé de problème quelconque. Le chargeur se retire et s’insère très facilement. La sûreté ambidextre se manipule très bien. L’essemble mobile n’oppose pas une grande résistance quand il est tiré vers l’arrière, malgré quatre ressorts récupérateurs. Les organes de visée sont simples, carrés et rapides à prendre en main.
Les résultats en cible à une vingtaine de mètres sur une C50 nous ont paru cohérents avec ce qui est dit du Desert Eagle. Mis à part 2 tirs plutôt bas, on pourrait se dire que le pistolet tient le 9 de la cible. De notre point de vue, les problèmes principaux sont la tenue de l’arme et la gestion du recul. Il va falloir domestiquer l’appréhension du fort recul pour obtenir quelque chose d’acceptable en cible. Autre point assez négatif : la détente est lourde (au moins 4kg sur notre exemplaire) et gratte. Disons que pour une première fois avec un pistolet aussi puissant, ça va (et nous ne revendiquons pas d’être un tireur olympique non plus !). Sur les vidéos au ralenti, l’arme semble effectuer une sorte de roulis : c’est l’effet de la balle qui force sur l’âme polygonale du canon. Au moment du tir, le tireur n’a pas le temps de s’en apercevoir. Tout ce qu’il peut voir, c’est une grosse boule de feu devant lui et l’arme qui monte fortement. Quant au recul, s’il est fort, il reste largement maîtrisable et même en faisant l’expérience du tir à bras franc. Il nous paraît improbable (pour un tireur un tant soit peu expérimenté) de se prendre le pistolet en pleine figure, comme on a pu le voir sur YouTube ! Cependant oui, l’arme cogne dans le creux de la main, et c’est là où ça fatigue bien rapidement, surtout si la prise en main est mal faite.
Le Desert Eagle mériterait une détente améliorée (mais en adéquation avec ses caractéristiques mécaniques hors normes), des bonnes cartouches et… des grandes mains ! Les tirs sur gongs se sont révélés tout aussi ludiques avec de bons résultats. Sur 40 cartouches, nous n’avons noté qu’un seul incident de tir : l’ensemble mobile n’est pas resté en arrière lors du dernier tir d’un des chargeurs. Cependant, la chose est peut-être liée au mauvais positionnement du pouce. Tout le reste s’est passé sans incidents.
Malheureusement pour les tireurs, il semble que seul Hornady propose (à ce jour) des cartouches sur le marché (Photo 19). De plus, il s’agit de balles XTP (eXtreme Terminal Performance) qui selon le fabricant sont plutôt destinées à la chasse, aux forces de l’ordre (y aurait-il un lien de corrélation entre les deux activités ?), et la défense du domicile (pour les pays où cela est autorisé), mais pas vraiment pour le tir sportif. Reste l’option du rechargement…avec des projectiles qui eux aussi, restent très onéreux.
Dernier point : les ressorts doivent être changés, selon le groupe Kahr, propriétaire de MRI, tous les 1000 coups (ou environ tous les 2500-3000 coups selon divers sites…mais fions-nous au propriétaire de la marque !). Si ce seuil de remplacement peut paraitre objectivement bas, celui-ci est en rapport avec la nature de l’arme. Par ailleurs, le fait de remplacer les ressorts récupérateurs périodiquement pour prolonger la vie d’une arme et assurer son correct fonctionnement n’a rien d’exceptionnel…et devrait être appliqué à bien des armes !
Fonctionnement
Le fonctionnement de l’arme est à l’image du reste : hors norme. Là où la majorité des pistolets semi-automatiques utilisent des systèmes à culasse non calée (calibre “peu” puissant) ou des culasses calées mises en œuvre par court recul du canon, le Desert Eagle hérite directement son fonctionnement d’armes bien plus puissantes : les fusils d’assaut et les fusils-mitrailleurs ! Oui, l’arme utilise un emprunt de gaz et un verrouillage rotatif fort de 3 tenons en tête. Si la chose n’est pas sans précédent (on pensera au pistolet Widley de 1973), elle est suffisamment rare pour être soulignée.
Le dessin de son emprunt de gaz est en toute logique adapté aux spécificités de l’arme et de son calibre, mais donne un résultat assez inhabituel. La prise des gaz est réalisée immédiatement en sortie de chambre, les gaz étant transportés vers le piston du transporteur de culasse situé à l’avant de l’arme par une conduite usinée à même la partie inférieure du canon (la chose est bien visible sur le brevet en lien ici – Photo 20). La chose est tout à fait rationnelle : positionner l’évent plus loin dans le canon poserait deux problèmes :
- Sur ce type de calibre, conçu pour des canons courts (par opposition aux calibres conçus pour les armes longues), la pression retombe rapidement. Aussi, une prise des gaz plus éloignée serait donc synonyme d’une perte de puissance pour le réarmement.
- La distance séparant l’évent de la bouche du canon doit rester significative pour éviter que le temps d’action sur le piston ne soit trop court.
On peut se questionner ici sur la “catégorisation” de ce type d’emprunt de gaz : par « tube adducteur » ou par « piston attelé au transporteur de culasse » ? Et bien si de prime abord, on pourrait penser « un peu des deux », au final, les implications sont plus proches d’un « piston attelé au transporteur de culasse » : c’est simplement un conduit très très long entre l’évent et la frette. Détail amusant, la chose se retrouve sur…un fusil d’assaut Israélien ! Et oui, la famille des Tavor (TAR-21, X-95) utilise un emprunt de gaz similaire : une tubulure conduit les gaz sur un piston (un vrai, comme sur le Desert Eagle) attelé au transporteur de culasse (Photo 21). Dans le cas de la famille du Tavor, il est vraisemblable que le choix fut dicté par la volonté de maintenir des pièces communes entre des armes aux longueurs de canon différentes.
Le verrouillage est donc rotatif. Si la culasse rappelle à beaucoup celle de l’AR-15, celle-ci ne compte donc “que” 3 tenons sur sa périphérie et non 7 (Photos 22 et 23). À notre sens, contrairement aux tenons de l’AR-15, ceux du Desert Eagle sont très bien répartis. Cette répartition s’affranchit de la régularité instinctive (et surtout productique) à 120° afin de ne pas implanter deux tenons trop proches de la gorge de l’extracteur. Du coup, le tenon situé sur le haut de la culasse est déplacé sur la droite afin de s’éloigner de l’extracteur. Une réflexion similaire aurait permis d’éviter aux armes de la famille AR-15 de souffrir d’une fragilité structurelle plus que problématique : deux tenons sont littéralement implantés au bord de la gorge d’extracteur. Telle une maison construite au bord d’une falaise, l’aventure se termine toujours mal… Il faudra attendre l’arrivée du G36 pour avoir une culasse solide, avec “seulement” 6 tenons, mais bien implantés…et bien plus solides. Le nombre ne compte pas…seule la surface totale de verrouillage et l’implantation compte !
Sans en avoir la preuve, il semble assez vraisemblablement que les concepteurs du Desert Eagle connaissaient la fragilité structurelle de l’AR-15. Attention, l’arme n’était pas exempte de fragilités pour autant. Dans sa première mouture : nous avons déjà vu un logement de piston, sur le transporteur de culasse, se briser. On notera que sur les générations suivantes, cette partie de l’arme a été modifiée : dorénavant, il semble que ce soit plutôt le piston qui casse (rarement) et non le transporteur de culasse…ce qui est bien moins problématique !
Autre différence avec le fusil d’assaut d’Armalite, la came n’est pas solidaire de la culasse au moment du tir, mais du transporteur du culasse. Ainsi, le chemin de came est usiné sur la culasse elle-même.
L’extracteur est de type “sautant”, et l’éjecteur est “à piston”, c’est-à-dire, mu par un ressort. Cette dernière disposition, qu’on retrouve également sur bon nombre de fusils d’assaut, est très clairement une facilité productique et un avantage économique. L’implantation d’un éjecteur fixe avec une arme dotée d’une culasse rotative eut été bien plus problématique. Est-ce un souci ? Pas réellement, surtout sur une arme qui, comme évoqué plus haut, n’a aucune vocation opérationnelle…autre qu’à Hollywood !
Le système de mise à feu fait quelque peu tache dans le tableau : il s’agit d’une mise à feu par chien en mode « simple action » réduite à sa plus « simple expression » … mais eut-il fallu autre chose ? D’un point de vue pratique, non…mais il eut été extravagant d’avoir une double actionLa "double action" ou "double effet" est un système de mise... More avec quelques sécurités autorisant un port « arme chambrée ». Extravagance qui devrait être une normalité pour le Desert Eagle. Mais tout ceci se ferait sans doute au prix d’une complexité et d’un coût supplémentaire…pour finalement pas grand-chose. Donc, la chose est rationnelle.
Au niveau des sécurités, mentionnons tout de même que le percuteur, de type frappé – lancé, est attelé au transporteur de culasse et non à la culasse elle-même : il n’y a donc aucun risque de départ de coup avec une culasse non verrouillée. Si le fait que le percuteur soit attelé au transporteur de culasse est directement un héritage de système a verrouillage rotatif rencontré sur les fusils d’assaut de type AR-15 (un bon point pour cette arme médiocre…), l’utilisation du percuteur frappé – lancé est typiquement hérité de la nature de l’arme…c’est une arme de poing !
Démontage
Le démontage de l’arme est « original » car il reprend des recettes déjà employées sur d’autres armes à succès. Ainsi, le démontage du canon, qui après le retrait du chargeur et la mise en sécurité de l’arme constituera la première étape du démontage, n’est pas sans rappeler celui du Beretta 92 : on retrouve une clef de démontage sur le côté droit de l’arme, qui peut être basculée lorsque que le bouton de verrouillage, présent sur le côté gauche, est appuyé.
Une fois le canon déverrouillé, on le tire légèrement vers l’avant, ce qui permet de l’extraire vers le haut de l’arme. Une fois le canon retiré, l’ensemble mobile se retire vers l’avant de l’arme. On peut ensuite extraire l’ensemble récupérateur. En fonction des versions, le retrait de l’ensemble récupérateur libèrera (Mark VII et XIX) ou pas (Mark I) le piston du transporteur de culasse. Ceci constitue le démontage sommaire, dixit le fabricant (Photo 24). Cependant, deux démontages complémentaires nous paraisse nécessaire pour un entretien au top de l’arme : l’ensemble mobile et le chargeur.
Pour démonter l’ensemble mobile, on retrouve un protocole partageant des éléments du Colt 1911…et de l’AR-15 ! En effet, on commencera par retirer la plaque de percuteur, comme sur un Colt 1911, en enfonçant le percuteur dans le transporteur de culasse pour libérer ladite plaque, puis en faisant coulisser cette dernière vers le bas. Attention, une fois la plaque retirée, le percuteur mu par son ressort a fortement envie de sauter hors de l’arme. Une fois le percuteur et son ressort retirés, on retire la came de culasse : pour ce faire, il est nécessaire de comprimer le poussoir de maintien de la culasse afin de faire rentrer celle-ci dans le transporteur de culasse. La culasse ainsi positionnée, on peut retirer, à l’aide de l’outil présent de l’unité collective, la came de son logement. Une fois la came retirée, on peut alors extraire la tête de culasse et son poussoir de maintien, son ressort et sa tige-guide. Comme évoqué, ce protocole ne sera pas totalement étranger aux personnes habituées à l’AR-15 (Photo 25).
Enfin le démontage du chargeur, qui est très classique. Ainsi, on refoule la planchette de verrouillage du talon de chargeur par un orifice de ce dernier, puis on fait coulisser le talon vers l’avant. Ici aussi, penser à opposer le pouce à la brutale décompression du ressort de chargeur. Une fois le talon de chargeur retiré, on extrait la planchette de verrouillage, le ressort de chargeur, et la planchette élévatrice.
Conclusion
Fruit pur et dur du marché civil Américain des années 1980, le Desert Eagle a su, en dépit d’une utilité toute relative, se hisser au rang d’arme légendaire. Mieux, c’est un symbole : celui du cinéma d’action des années 1980 – 1990. Aussi, il nous rappelle quand dans nos sociétés consuméristes (et nous en sommes tous des acteurs), le simple pouvoir évocateur d’un objet peut compenser son absence totale de rationalité… Aussi, si vous en avez les moyens et que vous le désirez vraiment, foncez. Vous ne serez pas déçus et nous ne connaissons aucun détenteur de Desert Eagle qui ait lâché sa bête de gaieté de cœur… à la condition sine qua non de ne pas lui demander ce pourquoi il n’est pas fait !
Thomas Anderson & Arnaud Lamothe
(1) Évidemment…c’est une plaisanterie ! Mais nous sommes curieux de voir si cette fable, sans gravité, sera reprise par certains…
Spéciale dédicace à Ronan Le D.
Source :
Brevet N°4563937 de 1983 :
https://patentimages.storage.googleapis.com/63/20/12/1a0b13733190c9/US4563937.pdf
Brevet N°4619184 de 1985
https://patentimages.storage.googleapis.com/37/06/96/f2319824f41e45/US4619184.pdf
Brochure publicitaire sur le modèle L6 :
https://www.magnumresearch.com/wp-content/uploads/2024/01/DE50L6IMB-Retail24.pdf
Page sur l’histoire de l’arme sur le site du fabricant :
Histoire cartouche .50AE :
https://forum.cartridgecollectors.org/t/50-ae-experimental/12474
https://www.magnumresearch.com/PDF/Distinction_MarkI-XIX.pdf