Le Pistolet Pressin
À première vue, cette arme semble tout droit sortie de l’arsenal de « Q » dans un bon vieux James Bond. Pourtant, « la Pistola Pressin » a vu le jour dans un contexte bien moins épique et pour un usage particulier : être l’arme de la dernière chance.
Une dernière chance
Le brevet de cette arme dissimulée fût déposé à Madrid le 22 Octobre 1977 (en PDF à la fin de l’article !). Si la mort du Général Franco en 1975 mettait fin à des décennies de dictature en Espagne, le climat n’en était pas moins délétère depuis la fin des années 1960 : les attentats et les enlèvements de l’ETA et des GRAPO y étaient monnaie courante. La situation était généralisée à toute l’Europe occidentale où différentes factions révolutionnaires étaient à l’œuvre. Leurs cibles étaient variées : hommes politiques, militaires, industriels… Dans ce climat de violence, le besoin de sécurité dut être ressenti à différents niveaux. Si l’emploi de gardes du corps paraît être une base dans le domaine de la protection de personnalité, tout le monde ne peut pas y avoir recours, et par ailleurs leurs présences n’avaient pas empêché certains actes criminels. Face à ce problème sécuritaire aux multiples facettes, il n’est pas surprenant que des solutions originales aient fait surface.
Alors, oui, de prime abord, ce pistolet à deux coups, camouflable dans un étui à lunettes (disponible dans plusieurs coloris – Photos 05 à 09) paraît bien dérisoire face à la violence dont pouvait faire preuve ces groupes révolutionnaires. Mais c’est ici qu’il faut bien comprendre le rôle de cette arme : il ne s’agissait pas de mener un combat dans une fusillade de rue, mais bien de posséder un « joker » à sortir en dernier recours, si la situation l’exigeait. Quelle situation ? Probablement celle de se retrouver en tête à tête avec un geôlier peu vigilant…et de le neutraliser, soit pour prendre la fuite, soit encore pour se saisir d’un armement plus conséquent…soit les deux ! Dans ce rôle, elle est tout à fait comparable à ce que permet le pistolet « FP-45 Liberator » ou stylo-pistolet « Stinger » (Photos 10 et 11) …mais pensée dans un rôle plutôt défensif qu’offensif, si tant est que les deux armes précédemment citées aient été pensées dans un rôle offensif (on phantasme trop ce qu’est le combat : certain ont même tendance à prendre John Wick pour un documentaire…alors que c’est de la fiction, si-si, je vous assure !). Elle n’est pas seulement comparable, elle est supérieure, car elle offre une capacité immédiate de deux coups, dans un calibre très suffisant pour neutraliser un individu. Quant à questionner la létalité d’une munition aux performances proche d’une 7,65 mm Browning, que les personnes dubitatives offrent leurs poitrines à la science !
L’arme sera mise en fabrication à l’usine Llama dès 1978 et restera disponible chez le fabricant, hors catalogue, jusqu’en 1995. La production est généralement annoncée à 900 unités. Il est également souvent mentionné qu’une bonne partie du stock du fabricant fut neutralisée après sa faillite et les armes ainsi neutralisées commercialisées en Espagne.
Un objet bien étrange
L’arme se présente donc sous la forme d’un bloc parallélépipédique comportant deux canons juxtaposés, une culasse mobile et un levier de déclenchement sur sa partie inférieure. Ce dernier est doté d’une sureté transversale. La partie inférieure avant de la carcasse présente un retour au niveau de la bouche des canons, qui assure (du moins en théorie !) que l’arme ne puisse pas reculer dans la main au moment du tir.
Pour charger l’arme, il est nécessaire de baisser manuellement le verrou de culasse puis de tirer la culasse en arrière (Photos 12 et 13). Cette dernière action renvoie le levier de déclenchement en position armée : il est alors possible d’engager la sûreté en la poussant sur le flanc droit (Photo 14). Une fois engagée, celle-ci empêche la compression du levier de déclenchement…chose on ne peut plus recommandée pour la suite des opérations de chargement. On peut alors procéder à l’introduction directe des munitions en chambre. On pousse ensuite la culasse en position de fermeture, le verrou se repositionnant automatiquement en fin de mouvement. Les deux percuteurs lancés sont armés sur le mouvement avant de la culasse. Une fois la sureté ôtée, la pression du levier provoque le départ successif des coups : sur la première partie de sa course, le départ du coup droit, puis sur sa seconde partie, celui du coup gauche. Le coup de gauche est donc libéré après une pression bien plus importante que le coup de droite (car son cran d’armée sur ce percuteur est bien plus long – Photos 15 et 16). Il est ainsi possible de déclencher les deux coups sur un même mouvement et de façon très rapide.
Il convient de faire extrêmement attention lors d’une utilisation de cette arme : comme sur beaucoup d’armes excessivement courtes, il est très facile de positionner un doigt (ou pire…) devant les canons avant le tir ! Le manuel (PDF disponible en Anglais et en Espagnol à la fin de l’article) nous indique qu’il est possible de saisir l’arme de deux façons différentes :
- Soit en positionnant le pouce sur le logement destiné à cet effet sur le dessus de l’arme et en activant le levier avec les autres doigts sous l’arme (Photo 17).
- Soit en positionnant le pouce sur le levier et en entourant le reste de l’arme avec les autres doigts (Photo 18).
La chose n’est pas sans raison : en saisissant l’arme dans l’urgence, on agit « comme on peut ». Et dans tous les cas l’effort musculaire doit se faire entre le pouce et l’index. Cependant, si par malheur vous parvenez à déclencher le tir en exerçant la pression entre la paume de la main et le petit doigt…vous risquez bien d’être la propre victime de votre arme ! Aussi, convient-il de se familiariser avec cette arme avant d’en envisager son emploi…comme toujours en matière d’arme à feu !
L’arme ne dispose d’aucun dispositif d’extraction ou d’éjection des étuis tirés : il est donc nécessaire de les extraire à l’aide d’une baguette une fois le tir réalisé (Photo 19). Cette absence n’est pas spécialement choquante : il s’agit d’une « arme de la dernière chance ». C’est à son porteur d’évaluer le bon moment de s’en servir en « coup unique », sans opportunité de rechargement…peut-être même sera-t-il plus sage de se débarrasser de cet encombrant (au sens des responsabilités) objet après son usage… Dans le même esprit, l’arme est livrée avec un seul « étui à lunettes » …alors qu’il est certain que celui-ci sera détruit dès le premier coup de feu…le fabricant semble avoir fait preuve de réalisme concernant l’utilisation de son arme. Évidemment, pour l’entrainement, rien ne sert de sacrifier l’étui…
La fabrication de l’arme est extérieurement très soignée et l’objet inspire, de prime abord, confiance en matière de solidité. Cependant, en démontant l’arme, on constate quelque chose d’assez fréquent sur certaines productions Espagnoles : la métallurgie et les finitions internes ne semblent pas être optimales. En outre, des pièces montrent des signes d’usure assez rapidement. Mais, ici aussi, il convient d’être pragmatique : compte tenu de la mission de l’arme, sa solidité est sans doute conforme à ce qu’il faut en attendre. La présence d’un canon rayé questionne : compte tenu des distances d’engagement envisagées (clairement, du bout portant), un canon lisse (comme sur le FP-45 Liberator) aurait fait l’affaire (Photo 20). Cependant, au-delà de la stabilisation du projectile, la présence de rayures dans le canon constitue un « frein » pour le projectile, ce qui permet, par une augmentation de la pression, d’augmenter sa vitesse de sortie…donc les performances en matière de balistique terminale du projectile.
Au rayon des curiosités, l’arme est dument éprouvée par le banc d’épreuve d’Eibar…alors que le calibre ne figure pas à la CIP ! À n’en point douter, en ce temps-là, l’application des normes était plus « souple » (visible sur la Photo 14).
Car oui, l’arme n’est pas en « 7,65 mm Browning », mais en « 7,65 E » : il s’agit d’une 7,65 mm Browning dont le demi-bourrelet est supprimé et qui se voit raccourcie à 15 mm (Photo 21). Mieux, selon certaines sources, la munition serait même « sur-chargée » en comparaison d’une 7,65 mm Browning : dans ces canons de 80 mm (chambres comprises), elle propulserait le projectile de 5 grammes à 250 m/s. Ainsi, l’arme offrirait (nous n’avons pas réalisé d’essai pour l’affirmer) une balistique identique à un pistolet à 7,65 mm Browning tout en ne pouvant pas être approvisionnée par des munitions courantes, et ce sans doute dans la crainte de voir l’arme se retourner contre leurs créateurs…dans un rôle cette fois-ci, offensif.
En conclusion
Comme la majorité des armes de sa catégorie, « la Pistola Pressin » est une superbe pièce de collection, témoignage d’une époque. Une réalisation finalement assez bien vue…car son brevet sera déposé 1 an avant l’enlèvement et l’exécution de l’homme politique Italien Aldo Moro. Si cet enlèvement ne relève pas d’un phénomène isolé (bien au contraire), sa portée symbolique démontre bien que cette préoccupation ne relevait pas d’un effet de mode, mais bien d’une problématique alors d’actualité. Bien évidemment, nous n’affirmons pas que l’utilisation d’une pareille arme aurait pu changer le tragique destin de cet homme politique italien. Cependant, une chose est sûre, face à l’inéluctable, certains risques deviennent acceptables et certaines solutions, salvatrices.
Arnaud Lamothe
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À titre informatif, 20 exemplaires de ces armes ont été vendus en 1995 au Ministère de l’Intérieur Français, sans doute plus au titre de la veille technologique que d’un emploi réel (Photo 23). Cependant, on peut parfaitement se douter que ce genre de matériel peut répondre à des besoins très spécifiques de certains agents d’une unité autrefois nommé DST…ou de ce qui est encore nommée, DGSE.
Remerciements :
Jean-Pierre Bastié pour sa relecture avisée et les photos 08, 09 et 19.
Gilles Sigro pour nos nombreux échanges constructif et ses informations (sur ce sujet et d’autres) !
https://ateliersaintetienne31.fr/
Esistoire pour la photo 21.
Remerciement spécial : Jean Paul Sapé, pour avoir conservé et mis à ma disposition un des derniers exemplaires des armes distribuées par M. Sigro Gilles.