L’étonnant Mousqueton d’Espinay
En 1827, Paris accueille au Louvre l’exposition des produits de l’industrie française. Cette exposition, voulue par le Charles X, héberge 1 631 exposants. Dans la section des armes et de l’arquebuserie française sont présents tous les grands noms de l’armurerie : Prélat, Renette, Cessier et Lepage, mais aussi quelques nouveaux venus comme le Marquis Pierre-Marie d’Espinay qui expose pour la première fois ses armes à charnières, brevetées cinq ans plus tôt.
C’est dans la quinzième salle, sous le numéro 1116, que figure le trophée d’armes du Colonel marquis d’Espinay St-Denis. L’homme n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà présenté des projets ambitieux comme une citadelle flottante et une galère incendiaire, toutes deux destinées à escorter les bâtiments marchands pour les préserver des attaques des corsaires. Mais aussi des mortiers à flèches et des canons à chargement par l’arrière.
Ces armes ont attiré l’attention du Roi, des princes et des ministres, notamment de celui de la marine, qui les a examinées dans le plus grand détail. Elles « seront d’une grande utilité pour nos troupes de terre et de mer ». C’est du moins ce qu’en pense le Maréchal-duc de Bellune, qui a autorisé l’inventeur à les faire confectionner à la fabrique royale de Saint-Étienne.
Mais l’ingénieux Marquis a préféré les faire exécuter à ses dépens pour obtenir un brevet d’invention, et les placer au Louvre au milieu des autres produits de l’industrie.
Le Marquis d’Espinay
Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, de Saint-Jean de Jérusalem, de Saint-Maurice et Saint-Lazare, le Marquis Pierre-Marie d’Espinay est Colonel en disponibilité dans l’état-major de l’armée. Il est né à Lyon le 22 novembre 1764. Le 23 août 1826, pendant un séjour à Paris, il obtient par ordonnance royale l’autorisation d’ajouter à son nom celui de Saint-Denis que portait son père, qu’il a lui-même porté, et sous lequel il est connu et désigné dans le monde et à l’armée.
Dilettante, curieux de tout, il s’implique dans de nombreuses activités dont la création de fermes expérimentales ou de haras pour l’amélioration de la race chevaline.
Il écrit, publie livres et mémoires et le 17 décembre 1822, à l’âge de 58 ans, il dépose un brevet d’invention et de perfectionnement de cinq ans, pour un système de charnières brisées s’adaptant à toutes espèces d’armes à feu. Ses armes sont alors présentées au Duc d’Angoulême qui reçoit le Marquis en audience particulière et l’oriente vers le ministre de la Guerre.
Sur recommandation du ministre, onze de ses armes sont essayées le 2 août 1823 à Saint-Étienne. Elles réunissent plusieurs avantages précieux pour la cavalerie et l’infanterie. Le feu est rapide, l’amorce ne craint pas l’humidité et nécessite moins de poudre que celle du fusil ordinaire. Le colonel d’Espinay participe en personne aux essais et tire quarante-deux coups sans nettoyer son arme, pour prouver que l’encrassement généré par la poudre ne nuit en aucune manière au mécanisme de ses inventions.
Une histoire sans fin
Pour le dépôt de son premier brevet, le généreux Marquis voit grand, trop grand sans doute puisque son mémoire pléthorique qui présente des dizaines d’armes et d’accessoires est rejeté par le ministère de l’Intérieur. Il doit le réduire pour le faire enregistrer.
Un an plus tard, le 3 décembre 1823, il est finalement enregistré sous le N° 2 251. Entre-temps, il a réalisé de nouveaux essais et réduit à une petite quarantaine le nombre de ses propositions, parmi lesquelles figurent des choses aussi surprenantes qu’un bouclier et une cuirasse « anautiques », doublés de liège, pour permettre aux soldats et aux chevaux de franchir les cours d’eau sans risque de se noyer, des boulets ramés,une lance télescopique dite « lance fantassine brisée », un casque, des tromblons. Mais le plus intéressant dans ce long inventaire est son système d’armes à brisure, entendez à chargement par la culasse, complété par un distributeur d’amorces intégré à la batterie.
Laissons donc l’inventeur présenter son système :
« Cette invention consiste à briser le canon d’une arme à feu par une charnière adaptée à un ressort avec recouvrement, pour réunir et consolider les brisures des canons de fusil de guerre et de chasse, des carabines, des pistolets et même des lances, afin, dans quelques-unes de ces armes, de charger sans baguettes, et dans d’autres de charger avec une petite baguette, qui se porte au baudrier. Quelquefois la brisure à charnière se place à la naissance de la crosse, pour faciliter au cavalier le port de l’arme.
Outre cette brisure à charnière, ces différentes armes sont munies d’un magasin de poudre contenant dix et vingt amorces, tant pour celles destinées à la guerre que pour celles à l’usage de la chasse, au moyen desquelles l’arme peut s’amorcer d’elle-même ; ce qui accélère le feu de la cavalerie et de l’infanterie.
D’une batterie destinée à porter l’amorce de poudre fulminante sur le bassinet couvert, afin que la pluie ne puisse entrer dans le trou de la lumière. Ce bassinet ne s’ouvre qu’au moment que le chien tombe ».
Aussi extravagantes qu’elles soient, ses inventions rencontrent un écho des plus favorables dans la presse de l’époque. Dans son édition du vendredi 11 janvier 1828, le Figaro publie :
« Les inventions de l’auteur (M. le colonel Despinay, fabricant d’armes) sont excellentes. Témoin, ce nouveau fusil destiné à MM. Les gardes-du-corps, qui se charge en quatre temps au lieu de douze, sans baguette, sans déchirer la cartouche (cela ne gâte pas les dents), et qui peut faire feu dans la nuit la plus obscure ».
Ses armes ont été conçues dans son château de Saint-Georges de-Reneins, dans le Rhône, suivant quelques principes assez simples : empêcher que la balle ne puisse tomber hors du canon, faciliter le chargement par la culasse, éviter d’amorcer à chaque coup, dispenser le tireur de déchirer la cartouche et lier le chien et la batterie du fusil entre eux.
Le mousqueton
Ce mousqueton de cavalerie issu du brevet du 3 décembre 1823 est muni d’une culasse levante, taillée en biseau et verrouillée à l’avant par un anneau brisé, coulissant dans deux pièces métalliques insérées dans le fût.
En glissant l’anneau vers l’avant, on libère la culasse qui se relève sous l’action d’un ressort placé sous la chambre mobile. Une fois la cartouche introduite, il faut repousser la culasse vers le bas et ramener l’anneau en arrière pour verrouiller la chambre.
Sur cette arme, une bride relie le chien à la batterie porte-amorces. En tirant vers l’arrière le levier qui surmonte le chien, on abaisse la batterie et on arme le chien. Dans un même temps, la réserve d’amorces dépose une charge d’amorçage dans le bassinet. Cette disposition est rendue possible, car le clapet de la réserve de poudre d’amorçage est ouvert lors de la mise en place de la batterie : il se refermera au moment où le chien basculera la batterie. Il ne reste plus qu’à faire feu, en priant pour que l’anneau en fer résiste à l’allumage de la charge et que le porte-amorce ne se transforme pas en grenade.
Les marquages
Ils sont peu nombreux. La platine porte pour seul marquage un poinçon où figure un « R » couronné et le tonnerre est gravé d’une inscription qui rappelle le nom et le titre de l’inventeur.
Un pistolet
Le Marquis n’a pas fabriqué que des mousquetons, il a aussi produit des pistolets. De forts pistolets de cavalerie, dans le style « Restauration », dont certains éléments sont empruntés aux armes réalisées sous l’Empire. Le canon à pans est légèrement tromblonné à la bouche, le chien à croc et les garnitures s’inspirent franchement des pistolets de l’Empire. La crosse « banane », ronde et quadrillée est plus influencée par la mode britannique comme c’est souvent le cas sous la Restauration.
Une devise en guise de mode de vie
Ingénieux, mais rêveur le Colonel Marquis d’Espinay avait pour devise familiale « Repellam Umbras » (« Je rejette les ombres »). Il a passé sa vie à poursuivre cette lumière que confèrent la gloire et le succès. Il a tout fait, tout essayé : ingénieur sous l’Empire, fermier puis fabricant d’armes sous la Restauration il n’est jamais parvenu à faire cette brillante découverte qui aurait suffi à elle seule pour faire de lui l’homme de génie qu’il aurait tant aimé être.
Texte et photos Jean-Pierre Bastié
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Sources :
- INPI « Institut national de la propriété industrielle »
- Le Figaro, janvier 1828
- « De l’influence du grand propriétaire sur la prospérité agricole et commerciale » par Flandre d’Espinay