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Un pistolet d’officier supérieur des gardes du corps du Roy des Espagnes Ferdinand VII

« Con el alma unida por el mismo clero Que la sangre corra protegiendo el reino »
Himnos de los Tercios

(Avec l’âme unie par la même croyance Que le sang coule en protégeant le royaume)

La trouvaille dans une vente aux enchères d’un exceptionnel pistolet espagnol richement décoré d’incrustations de texte en lettres d’or et de fabrication bourgeoise nécessite pour un esprit curieux la recherche de réponses aux nombreux questionnements que son analyse ne manque pas de poser.

Ce pistolet de fabrication civile fut utilisé par un officier supérieur des gardes du corps du Roy dans les années 1814 -1821. Il aurait été fabriqué, comme en atteste les poinçons en creux à fond doré « MEN/DIZA/BAL » présents sur la platine et sous le pontet, par Juan Andrés Mendizábal, platineur établi à Placencia, province de Castille et Léon. Le canonnier qui présida à la fabrication du tube serait Juan Esteban de Bustinduy d’Eibar, canonnier en 1791, comme le signale le beau poinçon sur le plat du canon portant le nom « BUS/TIN/DUY ». Cette première interprétation des signatures est réalisée d’après le très docte et très savant spécialiste espagnol Juan L Calvó. De mon point de vue il pourrait s’agir aussi du canonnier Pedro José de Bustindui Y Ruiz de Bernedo (disparu en 1816) célèbre canonnier d’Eibar, ville dont il fut maire en 1804. Toujours selon mon point de vue, le platineur pourrait aussi être José Manuel de Mendizábal contrôleur principal à la fabrique d’armes royales en 1814. Mon opinion se base sur la très haute qualité de fabrication et au style du pistolet qui correspond, de mon point de vue, à la période du second règne de Ferdinand VII, 15e roi d’Espagne, qui vécut de 1784 à 1833. Ferdinand VII, surnommé « le désiré » en 1808 puis « Le roi félon », régna de mars à mai 1808 puis entre 1813 et 1833. Les poinçons des deux canonniers sont fort semblables ; seule la forme de la couronne surmontant le poinçon diffère légèrement. La supposition de Juan Calvo est étayée par la forme de la couronne. Mon hypothèse s’appuie sur la date de création du grade de capitaine surnuméraire en 1814 dans les gardes du corps du Roy.

Ce grand pistolet est issu d’une paire, l’autre exemplaire absolument identique et portant la même attribution apparait sous le numéro d’inventaire « 6466 » dans les collections du musée de l’Armée à Madrid.

C’est une arme montée fer, avec une platine « de chispa » (à silex) système « de patilla » ou « à la miquelet » comme l’on dit outre-Pyrénées. La platine à la miquelet se caractérise par la présence du maître ressort à l’extérieur de la platine, la présence d’un pied extérieur sur le chien, ce pied reposant sur une gâchette plate traversant le corps de platine. L’action du doigt sur la détente efface cette gâchette et la gâchette de demi-armée permettant au fort ressort de faire basculer violement le chien vers l’avant. Ceci entraine le choc du silex sur la face avant de la batterie, générant une gerbe d’étincelles qui allume la charge de pulvérin découverte par le brusque basculement arrière de cette dernière. Le bassinet est habillé d’un insert en or massif. Le grain de lumière du canon est, lui aussi, en or pour prévenir l’oxydation de l’acier sous la morsure des composés chimiques acides dégagés par la combustion de la poudre noire. La monture, très arquée à la poignée, est d’une prise en main confortable. Elle est fabriquée en beau noyer blond et quadrillée à la poignée. La tuile sous le canon se prolonge à mi-canon et se termine par une capuche ronde servant de logement à une baguette articulée fer. Le corps de platine est poli glace et terminé au brunissoir. Le chien est d’une forme très complexe avec de nombreuses complications de forme venues de lime, ce qui démontre la très haute maîtrise de l’ajustage de l’artisan l’ayant relimé !

Le canon lisse de calibre 18 mm (12 balles à la livre) est octogonal au demi, puis rond légèrement évasé à la bouche. Celle-ci est renforcée par une moulure incrustée d’une bague striée dorée. La jonction entre la partie octogonale et la partie ronde est sculptée d’une frise de feuillage à fond doré amati. Ce canon a viré au tabac, mais présente des restes de bleu d’eau ou queue-de-paon, il est fermement assujetti sur la tuile par un tiroir, sa finition interne polie à l’extrême permet d’apercevoir sans aide lumineuse le fond de la chambre, ce qui laisse deviner que cette arme n’a jamais tiré.

Intéressons-nous maintenant au texte caractérisant cette arme :

Nous lisons sur le renfort entre la calotte de crosse et la queue de culasse :

POR LA PROVINCIA DE GUIP-A
(De la part de la province de Guipúzcoa)

Et sur les 3 pans du canon :

CAPITAN SUPERNUMERARIO
(Capitaine surnuméraire)
DELAGUARDIA
(De la garde)
DELA PERSONNA DEL REY
(De la personne du Roy).

L’appellation Capitaine surnuméraire que nous lisons sur le canon est ici d’une importance cruciale : en effet, le grade de « capitan supernumerario » fût introduit dans le nouveau règlement des gardes du corps du Roy du 1er juillet 1814. Ce nouveau règlement re-organisait ce corps prestigieux qui s’articulait désormais en trois escadrons de cavaliers et un état-major. Le commandant en second de l’unité portait désormais le titre de capitaine surnuméraire avec un traitement de 5000 réals annuels.

Dans les années 1816/1820 le poste de capitaine surnuméraire fut occupé par le maréchal de camp et marquis de Villadarias y de la Vera (6éme du nom). Il fut nommé à ce poste le 29 décembre 1814 et accéda le 2 janvier 1815 au maréchalat. La province de Guipuzcoa au Pays basque lui offrit une paire de pistolets, dont un exemplaire est présenté ici. La paire fut donc forcément fabriquée après la nomination du marquis dans les gardes du corps et donc pas avant 1815. Il mérita sa nomination pour sa fidélité aux Bourbon d’Espagne. Ferdinand VII fut renversé par la prise de pouvoir du frère de Napoléon Bonaparte qui usurpa (aux yeux des Espagnols légitimistes) le trône à l’ombre des baïonnettes des troupes d’occupation impériales. Les Espagnols le surnommèrent rapidement de manière fort irrévérencieuse « Pepe boteilla » (Jojo la bouteille !). À cause de son âge, le marquis de Villadarias y de la Verase se retira à Grenade où il se trouvait lors de la prise de la ville en janvier 1810 par les troupes du général Sebastiani. Il y était encore en 1812 lors de la reprise de la ville par les espagnols. Un conseil de guerre le déclara innocent de toute collaboration avec les occupants le 14 décembre 1812. Il fut réhabilité par le nouveau souverain Ferdinand VII le 13 août 1814 et lui alloua une rente annuelle de 17342 réals en le décorant de l’antique et prestigieux ordre pontifical et militaire de Calatrava. Il fut ensuite promu Lieutenant-général le 12 avril 1815.

Les Espagnols ayant choisi de collaborer et de prêter allégeance au Roi Joseph Napoléon, connus sous le nom de « Josephinos » ou de « Afrancesados » (Francisés), étaient haïs par le clergé et le peuple. Ceux qui ne fuirent pas en France dans les fourgons de l’armée impériale furent massacrés, de manière affreuse, lors de la fuite de Joseph Napoléon suite au désastre de la bataille de Vittoria en 1813. On lit d’ailleurs dans le catéchisme espagnol de 1808 qu’apprenaient aux enfants les innombrables prêtres ces sinistres présages au sujet des  « malhechores » (malfaiteurs) Français :

Qui sont les Français?

D’antiques chrétiens et de nouveaux hérétiques.

Qui les a conduits à cet esclavage?

La fausse philosophie et la liberté de leurs coutumes perverses.

Quelles peines encourt l’espagnol qui manque à ses justes devoirs?

L’infamie, la mort naturelle en tant que traître, et la mort civile pour le manquement aux lois.

Tuer un Français est-il un pêché?

Non, c’est au contraire un acte méritoire si grâce à cela la patrie est libérée des insultes, des vols et des tromperies.

 Les Bourbons d’Espagne voyaient en effet dans les occupants, fils de la Révolution française, les régicides de leur cousin de France. Ce fut une guerre affreuse et une des pires campagnes de Napoléon, mélange de guerre civile, de guérilla et de batailles rangées ! Les Espagnols avaient libéré leur pays des occupants, mais n’avaient pas pour autant gagné leur liberté car le nouveau monarque (le roi Félon comme on disait désormais !) annula immédiatement la constitution libérale mise en place par Joseph Bonaparte le 7 mars 1812 et rétablit la monarchie absolue et l’inquisition. Une insurrection libérale éclate et les libéraux forcent Ferdinand VII à restaurer la constitution libérale en 1820. Son cousin Louis XVIII de France, un Bourbon comme lui, enverra un corps expéditionnaire le soutenir « Les 100 000 fils de Saint Louis » venus de France : il s’agissait en fait d’un corps expéditionnaire de 30 000 hommes .

Le Roy Ferdinand VII demanda au marquis de Villadarias de remanier les escadrons des gardes du corps le 12 septembre 1823. Il parvint à former un escadron qu’il envoya chercher des chevaux de remonte à Séville. Cet escadron escorta le Roy de Cadix à Madrid. Lorsque le cortège royal atteignit la capitale en octobre, le Roy, qui n’avait nulle confiance dans ses gardes du corps qu’il soupçonnait de sympathies libérales, ordonna qu’ils fussent remplacés par des troupes françaises. Comble de la chose, certains étaient d’anciens grognards de Napoléon et l’avaient combattu 10 ans auparavant ! Ainsi, grâce à l’aide des Français qu’il avait tant détestés son pouvoir fut établi solidement ! Cette période de son règne fût appelée « décennie abominable » (1823-1833, en espagnol : Década Ominosa) et se termina avec la mort de ce souverain controversé ! Pour imiter le célèbre historien, le regretté Henri Guillemin, je dirais à son sujet : « De loin en le regardant on voyait un lion, en s’approchant on découvrait que ce n’était qu’une hyène affublée d’une crinière ! »

Conclusion

Ce pistolet accompagna toutes ces aventures dans les fontes de ce proche du Roy et constitua un rempart protecteur pour sa sécurité, son frère jumeau trône dans les vitrines du musée de l’Armée de Madrid et cet autre exemplaire, lui, a traversé les Pyrénées et fait la joie de son propriétaire !

Jil Sigro Y Peyrousère « El garbanzo »

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    Gilles Sigro-Peyrousère

    Armurier diplômé de l'école de d'Armurerie de Saint-Étienne, Gilles est avant tout un passionné d'histoire, d'armes et de militaria. Armurier à son compte depuis plus de 30 ans, Expert près la Cour d'Appel de Toulouse en armes anciennes, il expertise de nombreuses collections pour des ventes aux enchères partout en France.

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